Scott ThornleyDe chrome et de sang

Un portrait sombre et juste des tensions qui pèsent sur notre société et qui risquent à tout moment d’exploser.

Extrait

Une tempête parfaite. Voilà ce qui attend l’inspecteur MacNeice dans cette double enquête qui mettra à rude épreuve son légendaire sang-froid. Dans ce deuxième roman de la série à succès de Scott Thornley, la violence tant physique que psychologique est omniprésente alors que la police de Dundurn doit faire face à une guerre entre deux bandes de motards et à un tueur en série qui s’en prend à de jeunes femmes racisées.

 

La plage de Van Wagner s’étendait sur un kilomètre et demi le long de la rive sud-ouest du lac Ontario, non loin du canal qui permettait aux cargos du lac d’avoir accès à la baie de Dundurn. C’était une plage dentelée avec des amoncellements de rochers en guise de brise-lames qui s’avançaient dans le lac tous les cent mètres. Ils empêchaient le sable de s’éroder jusqu’à la route voisine chaque année en novembre, lorsque le vent fouettait le lac. C’était la plage la plus proche et la plus populaire de la ville de Dundurn, une destination estivale pour ceux qui ne pouvaient pas se payer un chalet dans le Nord.

Les amoureux du soleil – les jeunes familles et les adolescents – partaient lorsque l’astre du jour se couchait derrière les arbres en bordure de la route de la plage. C’est alors qu’arrivaient les vrais romantiques: ceux qui voulaient faire l’amour derrière les rochers, se baigner nus, boire ou simplement admirer la splendeur du coucher de soleil que répandait le crépuscule sur l’eau.

À 21 h ce soir-là, Samora Aploon, une étudiante en médecine de vingt-cinq ans, termina son quart de travail au Burger Shack. Son manuel de chirurgie thoracique sous le bras et son dîner sur un plateau en plastique, elle traversa la plage jusqu’au deuxième brise-lame et s’assit sur une des roches plates, le dos face au bâtiment. La distance permettait d’atténuer le bruit de la foule avide de hamburgers et de bière qui affluait vers le Shack tous les soirs à cette période de l’année aux commandes de voitures bruyantes et de motos qui l’étaient encore plus. La lumière déclinante lui permettrait de lire au moins six pages en mangeant.

Samora retira ses sandales et enfouit ses pieds nus dans le sable encore chaud. En ouvrant le manuel sur le rocher à côté d’elle, elle posa une pierre plate de la taille de la paume – comme celles avec lesquelles elle avait appris à faire des ricochets – sur les pages afin de pouvoir lire les mains libres. Elle déballa son burger au poisson, prit une gorgée de Canada Dry et suivit des yeux la rive opposée qui contournait Secord en direction de Niagara. Elle aimait la lumière violette du crépuscule, si différente des couleurs riches et saturées du Cap-Occidental en Afrique du Sud, d’où elle venait.

Elle était sur le point de prendre une bouchée lorsqu’une silhouette apparut derrière l’entassement de rochers. Elle ne l’avait pas entendue s’approcher. Soudain, elle vit son propre visage reflété dans la visière noire lorsque l’individu se planta juste devant elle. Samora se leva pour lui demander ce qu’il voulait. C’est alors qu’il frappa. Le gobelet de soda au gingembre s’envola au-dessus des rochers et termina sa course dans les vagues paresseuses, perdant couvercle et paille qui tournoyèrent dans l’écume. Elle n’eut même pas le temps de lâcher son burger au poisson: elle l’avait encore à la main lorsque deux jeunes femmes, dont les petits amis étaient allés chercher de la bière et des frites au Burger Shack, s’approchèrent, armées de couvertures et d’un haut-parleur portatif, à la recherche du meilleur endroit où s’installer pour la soirée. Elles demeurèrent stupéfaites pendant un instant à la vue du corps tailladé et sanguinolent dans le sable, puis elles lâchèrent un cri.


 

Elles demeurèrent stupéfaites pendant un instant à la vue du corps tailladé et sanguinolent dans le sable, puis elles lâchèrent un cri.

Extrait du livre


 

Les cinq voitures de patrouille rangées sur le bord de la route et leurs gyrophares permirent à MacNeice de repérer sans difficulté la scène du crime. Un ruban de sécurité jaune avait été tendu le long des arbres qui bordaient la route, depuis le premier brise-lame jusqu’au-delà du troisième. MacNeice se gara derrière la voiture de Vertesi.

Plusieurs policiers en uniforme étaient rassemblés autour des deux femmes et de leurs petits amis, juchés sur le premier amoncellement de rochers. Les femmes suivirent MacNeice des yeux lorsqu’il traversa la plage.

Le sergent en uniforme fut le premier à le saluer.

— Bonsoir, inspecteur.

— Résumez-moi ça, sergent Matthews.

— Une jeune femme, Samora Aploon. Une étudiante en médecine originaire d’Afrique du Sud. Elle a failli être découpée en filets d’un seul coup de couteau. Personne n’a vu ni entendu quoi que ce soit jusqu’à ce que ces deux-là se mettent à crier.

Il indiqua les deux femmes. Quelqu’un avait étendu une nappe en plastique à carreaux rouges sur le corps. Vertesi avait rabattu un coin. Williams et lui examinaient le corps.

— Quelqu’un a-t-il parlé aux employés du Burger Shack?

— Ils sont plutôt secoués. Aploon était très réservée, et personne ne la voyait en dehors des heures de travail, mais elle était fort appréciée.

— Merci, sergent.

Matthews hocha la tête et se dirigea vers les jeunes femmes, que leurs petits amis entouraient de leurs bras.

Avec un mélange de fatigue et de rage, MacNeice s’avança vers la nappe en vinyle à carreaux rouges. Williams l’aida à la retirer du corps. Le couteau avait tranché le t-shirt de Samora au milieu du sein gauche et avait traversé la clavicule jusqu’à son cou, où il avait fendu les chairs jusqu’à la colonne vertébrale. En achevant son geste, l’assassin avait sectionné la majeure partie du lobe de l’oreille gauche. Le sang s’était épanché dans le sable tout autour de la victime, une flaque sombre dans la lumière déclinante. Elle était tombée de côté et reposait sur le dos, les pieds enfoncés dans le sable. Son ventre avait été perforé à quatre reprises. Elle portait un short noir en coton avec un sac banane. Rien ne semblait avoir été déplacé. Dans sa main droite, il y avait un burger.


Livre traduit de l’anglais (Canada) par Éric Fontaine et publié dans la collection « Boréal Noir ».