Marie Lavigne et Michèle Stanton-JeanJoséphine Marchand et Raoul Dandurand

La biographie d’un couple
à l’avant-garde des combats de son temps.

 

Extrait

En puisant abondamment dans le journal de Joséphine et dans les mémoires de Raoul, ainsi que dans la correspondance qu’ils ont échangée, Marie Lavigne et Michèle Stanton-Jean tressent l’histoire de deux vies qui défie l’image que l’on se fait souvent des couples anciens. Elles n’hésitent pas à affirmer que Joséphine a été aussi diplomate que Raoul a été féministe.

 

« Nous sommes vraiment arrivés, Raoul et moi, à un joli degré de puissance pour le bien public. » Joséphine Marchand ne saurait mieux décrire le couple qu’elle a formé avec Raoul Dandurand. L’un et l’autre sont devenus, au tournant du XXe siècle, des acteurs sociaux et politiques aussi inséparables qu’incontournables.

Ils naissent la même année, en 1861. Après cinq ans de fréquentations, Joséphine Marchand et Raoul Dandurand, tous deux âgés de vingt-quatre ans, se marient le 12 janvier 1886 et s’engagent pour le meilleur et pour le pire dans une vie commune qui durera quarante ans.

Ils vivent dans une période où le monde occidental se transforme radicalement. De profonds changements « obligent à la recherche d’une nouvelle façon d’être, de vivre et de penser individuellement et collectivement. Le moderne bouleverse l’ancien; l’innovation est tout autant dans l’habitat, le vêtement, le travail que dans les loisirs, le transport et les façons de produire, de distribuer et de consommer une variété de biens ». Ces transformations frappent de plein fouet la vie des humains et chamboulent de façon singulière celle des femmes et l’univers domestique. Raoul et Joséphine n’ont pas été les spectateurs de ces changements, mais des acteurs critiques engagés.

Joséphine Marchand et Raoul Dandurand ne font pas partie des grands oubliés de l’histoire. Quiconque est curieux de l’histoire des femmes rencontre le nom de Joséphine Marchand, femme de lettres, pionnière du journalisme féminin et féministe de la première heure. Sénateur et diplomate, défenseur de la paix et des minorités, Raoul Dandurand est passé à l’histoire comme un pionnier de la diplomatie canadienne, et son nom nous est familier grâce à la Chaire Raoul Dandurand en études stratégiques et diplomatiques.

Tous deux nés de parents férus de politique et opposés à la Confédération, ils ont six ans quand le Canada est fondé. Ils grandissent dans un jeune pays qui subit le carcan colonial britannique, dans un Québec à la recherche de son identité, vivant encore dans le souvenir des patriotes de 1837-1838, un Québec qui s’industrialise et s’urbanise à pas de géant, dans lequel le clergé domine la gestion de l’éducation et entend bien continuer à régenter la société civile.


 

Dès leur première rencontre, alors qu’ils sont dans la jeune vingtaine, Raoul et Joséphine échangent sur la politique et entament une conversation qui va durer des décennies.

Extrait du livre


 

Ils sont tous deux libéraux. Avant d’être conçu comme la dénomination d’un parti politique, le libéralisme est un système de pensée et d’action hérité du siècle des Lumières. Pour eux, la justice, basée sur les droits de la personne, la liberté d’opinion et la démocratie, ne peut s’atteindre que par l’accès à la connaissance que procurent l’instruction et la culture. Ils sont animés par un système de valeurs auquel s’opposent le clergé conservateur et les ultramontains. Ils sont aussi des êtres pragmatiques qui essaieront de faire avancer stratégiquement leurs idées progressistes tout en ne se privant pas de critiquer l’autoritarisme du clergé. Raoul, qui a eu comme mentor son cousin, le bouillant Joseph Doutre, un rouge radical et anticlérical, choisira fréquemment la négociation plutôt que l’affrontement pour faire avancer ses idées. Joséphine, dont le père, Félix-Gabriel Marchand, est un libéral modéré qui deviendra premier ministre du Québec en 1897, est proche de tous les combats qui opposent les libéraux aux ultramontains. Habituée aux anathèmes de ces derniers, elle avance avec prudence sa réflexion féministe dans un contexte peu réceptif aux idées émancipatrices.

Dès leur première rencontre, alors qu’ils sont dans la jeune vingtaine, Raoul et Joséphine échangent sur la politique et entament une conversation qui va durer des décennies. S’écrivant, se consultant, assistant ensemble à des réunions, à des conférences, avides de tout lire et de tout connaître, grands voyageurs, ils s’abreuvent en quelque sorte aux mêmes valeurs. Le couple aurait pourtant pu se contenter du quotidien traditionnel et banal de la petite bourgeoisie de son temps.

Ils se sont admirés avant de s’aimer, ils ont été fascinés l’un par l’autre. Ils seront éclatants, beaux, cultivés, francophiles et bilingues, « réseauteurs » habiles, ambitieux, généreux, et, au-delà de tout, compagnons de route soudés dans un même projet: faire avancer le Canada français dans des domaines aussi variés que la survie du fait français en Amérique, les arts, la culture, la langue, l’éducation, la diplomatie, les droits des femmes et des minorités.