Notre entretien avec
Nadine Bismuth
Les relations amoureuses sont très présentes dans votre œuvre. Dites-nous comment, dans ce nouveau livre, elles s’arriment aux contingences de la vie familiale.
Avec l’arrivée des enfants dans ce roman, la vie familiale impose sa structure au couple. Or le couple, dans mes livres, a toujours été une cellule soumise au chaos des émotions. Dans Un lien familial, je crois qu’on assiste donc à la rencontre entre ces deux forces contraires qui entretiennent un dialogue de sourds. La structure n’arrive pas à contenir le chaos : la famille impose sa permanence, alors que le sentiment amoureux est éphémère et désordonné, sans réel ancrage.
Toutefois, les personnages du roman, une fois qu’ils ont refusé la permanence du couple, n’ont pas le choix d’entretenir celle de la famille. Guillaume et Karine sont deux ex-conjoints qui ont une fille en garde partagée, ce qui les oblige à maintenir une relation durable, mais celle-ci n’est plus fondée sur l’intimité ou la camaraderie. Ils n’ont pour ainsi dire plus aucun respect l’un envers l’autre même s’ils partagent le projet commun du bien-être de Julianne. Des conflits plombent leur relation. C’est un gâchis sans issue.
La littérature n’est plus là pour éclairer nos parcours d’êtres humains, ce qui fait écho au drame des personnages de ce roman : ils sont en perte de repères et ne savent plus comment s’orienter dans un monde où les modèles ont disparu.
Extrait de l’entretien
Magalie vit un véritable désenchantement, quel est-il?
La vie conjugale de Magalie est peu enviable : elle sait que Mathieu, son conjoint, la trompe. Mathieu ignore que Magalie est au courant de ses infidélités, car Magalie ne le met pas devant ses responsabilités, convaincue que si Mathieu était réellement amoureux de sa maîtresse, il la quitterait pour aller vivre avec elle. Si l’attitude passive de Mathieu rassure un peu Magalie, en attendant, le seul moyen qu’elle a trouvé pour rendre cette situation tolérable est de sauter la clôture elle aussi. Il demeure évident pour moi que si Magalie n’avait pas eu d’enfant avec Mathieu, elle l’aurait quitté le jour où elle a découvert ses infidélités. Si elle reste, c’est bien sûr parce qu’elle l’aime encore malgré tout, mais surtout pour ne pas briser sa famille, envers qui elle se sent responsable. Son désenchantement est présent dès le début du roman, car elle a déjà fait son deuil d’une famille idéale. Elle parvient néanmoins à trouver un certain équilibre dans tout cela.
Magalie est designer de cuisine. Parlez-nous de la cuisine comme objet symbolique de notre époque.
Pour ce roman, il était important pour moi de mettre en scène un personnage qui exerce un autre métier que celui d’écrivain, parce que l’on vit dans un monde où la littérature est de plus en plus reléguée à un rôle ornemental. Il n’y a que deux références littéraires : Guillaume passe une soirée au Madame Bovary, à Boucherville (un lieu réel, et qui se décrit sur son site Internet comme un « beer garden victorien »; ça ne s’invente pas). Isabelle, de son côté, offre à Olivier des chandails hors de prix de la marque Zadig & Voltaire. La littérature n’est plus là pour éclairer nos parcours d’êtres humains, ce qui fait écho au drame des personnages de ce roman : ils sont en perte de repères et ne savent plus comment s’orienter dans un monde où les modèles ont disparu.
Ces dernières années, les circonstances de la vie m’ont amenée à me familiariser plus que nécessaire avec l’univers de la rénovation de cuisine. J’ai décidé de me servir de ces connaissances pour Un lien familial. Peu à peu, alors que le personnage et les mésaventures de Magalie prenaient forme, la cuisine est devenue une espèce de symbole dans le roman. La cuisine est souvent l’épicentre d’une maison. C’est un lieu de rassemblement, d’échanges, de festivités. Ainsi, si Magalie aime tant son métier de designer de cuisine, c’est parce qu’elle a l’impression d’accompagner ses clients dans un projet important : celui de la célébration de leur foyer, de leur vie familiale, tout cela au moment même où sa propre famille ne tient plus qu’à un fil.
Le personnage de Guillaume est-il du côté de la lumière ou de la noirceur?
Alors que Magalie offre le récit d’un désenchantement féminin, Guillaume porte en lui le récit d’une solitude masculine. Il est dans une espèce de traversée du désert dont il ne voit pas la fin. C’est un personnage qui tente de se reconstruire, de comprendre son parcours. Parce que son coup de foudre pour Magalie le transporte du côté du rêve et du fantasme, je pense qu’il est du côté de la lumière. Certes, il agit de manière un peu ridicule, mais au moins, il a foi en quelque chose : il est en quête d’une connexion. Parmi toutes les âmes désillusionnées qui habitent le roman, Guillaume est, je crois, un personnage plutôt sincère et attachant.
Entretien réalisé en 2018
Livre publié dans la collection « Boréal compact »
Gagnant du Combat national des livres 2020