Jacques BeaucheminUne démission tranquille

Le sociologue fait l’éloge du sujet politique québécois et critique la tentation d’un retour au Canada français.

Notre entretien avec
Jacques Beauchemin

Qu’est-ce qui a vous a poussé à écrire un autre livre sur le Québec après La Souveraineté en héritage?

La Souveraineté en héritage se limitait à une lecture en surface de la crise qui affecte le souverainisme québécois. Cette lecture tenait d’une impression certes systématisée et argumentée, mais qui se refusait à théoriser outre mesure la condition québécoise. Mon livre traduisait d’abord un sentiment ou encore une impression. En d’autres termes, l’analyse qui y était proposée ne se fondait pas sur l’exploration en profondeur des causes de cette crise.
C’est ce que j’ai voulu faire dans Une démission tranquille. C’est une chose en effet de constater l’étiolement du souverainisme québécois, c’en est une autre de remonter aux sources de ce que j’appréhendais sous la notion un peu lyrique de « fatigue » dans La Souveraineté en héritage.

Pourquoi avoir choisi d’explorer le thème de la conscience historique?

La question de la conscience historique est une grosse affaire dans la sociologie québécoise! Je m’inscris dans la longue lignée des intellectuels fascinés par ce que Fernand Dumont a rangé dans la notion d’« idéologies » ou encore de culture. Nous sommes nombreux au Québec à appréhender la question nationale sous l’angle des représentations. Un peu comme si une partie du mystère de nos impuissances et de notre pusillanimité se trouvait non pas dans ce que l’on pourrait appeler les conditions objectives ou matérielles de notre collectivité mais dans son rapport à elle-même. Il s’agit d’une tendance très ancienne dans notre histoire qui consiste à s’intéresser d’abord à l’âme de la collectivité, à sa « grande aventure » comme l’écrivait Groulx, ou comme jadis à sa « mission providentielle », à sa « différence », à ses complexes, etc.

Bref, notre regard a tendance à s’attarder à ce qui distingue notre collectivité des autres du point vue existentiel. Cela nous a donné certaines des plus belles pages écrites au sujet de l’être québécois. Je pense à Hubert Aquin et à « La fatigue culturelle du Canada français », au Canadien français et son double de Jean Bouthillette et à bien d’autres. Mais cette obsession n’est pas exempte d’un certain ressassement qui, à la longue, risque d’être un peu contre-productif. C’est dans cette lignée que s’inscrit Une démission tranquille : celle des tentatives reconduites d’explications de nous-mêmes à la recherche de ce qui nous manque collectivement pour nous affirmer en véritable sujet politique. J’espère simplement que mon essai ne tient pas trop du ressassement mais qu’il prolonge l’exploration que nous menons sur nous-mêmes depuis que François-Xavier Garneau, dans les années 1840, a essayé de circonscrire l’âme de cette collectivité en parlant de la « race intrépide » que nous formions alors et qui était pour cela destinée à durer dans l’histoire.


 Comme si une partie du mystère de nos impuissances et de notre pusillanimité se trouvait non pas dans ce que l’on pourrait appeler les conditions objectives ou matérielles de notre collectivité mais dans son rapport à elle-même.

Extrait de l’entretien


Pourriez-vous nous donner des illustrations de la dépolitisation et de l’apolitisme de la société québécoise?

On se réjouit un peu partout de ce nationalisme renouvelé qu’incarnerait le gouvernement de la CAQ. Loin de moi l’idée de m’en prendre aux initiatives de celui-ci. Au contraire, il faut se réjouir de ces gestes d’affirmation nationale que constituent par exemple l’adoption de la loi 21 et bientôt, je l’espère, le renforcement de la Charte de la langue française. En même temps, il faut bien voir que cela constitue un recul par rapport aux immenses espoirs que nous entretenons depuis la Révolution tranquille. Surtout, cela relève effectivement d’une « dépolitisation » dans la mesure où ce nationalisme renouvelé ne pose plus la question du sujet politique québécois maître de son destin. Nous avons un peu l’impression de revenir à la théorie des deux « peuples fondateurs » et de la défense des intérêts du Québec dans le cadre du fédéralisme canadien.


Relire l’histoire du Québec à la recherche des crimes dont se seraient rendus coupables les premiers colons, la mise au jour toute récente d’un esclavagisme tout aussi condamnable que celui qui sévissait ailleurs, indique une réorientation de la conscience historique qui s’effectue sur le mode de l’introspection culpabilisante.

Extrait du livre


En même temps qu’une analyse de la conscience historique, votre essai n’offre-t-il pas un état des lieux du nationalisme québécois? À quoi peut-on s’attendre dans l’avenir?

C’est un état des lieux, en effet. Qui peut dire ce que nous réserve l’avenir? Une chose m’apparaît certaine : le nationalisme tel que nous le pratiquons maintenant confine à l’impuissance. Ce qui nous guette, c’est une certaine « folklorisation » de l’identité québécoise. Peut-être nous contenterons-nous d’une défense tonitruante de certains traits identitaires en même temps que nous renoncerons à nous instituer en un sujet politique dont le destin normal devrait le conduire à se donner les moyens de ce que Maurice Séguin désignait sous la notion de « l’agir par soi ».