François LandryLe Bois dont je me chauffe

Une volée de bois vert contre l’exploitation de la nature et la villégiature qui contient son lot d’envolées lyriques.

Notre entretien avec
François Landry

Le Bois dont je me chauffe exprime une colère. Quelle est-elle?

Vivre hors des « grands centres » tout en se tenant informé des préoccupations urbaines du moment par médias interposés en vient à instiller une impression de « décalage » qui, à la longue, peut provoquer une forme de « décrochage » social, d’autant que le mode de vie choisi implique jusqu’à un certain point qu’on applique plus qu’ailleurs des principes d’indépendance, et ce, quotidiennement. Quand le terme social sous-entend désormais, dirait-on, l’appartenance à ces ensembles vastes et denses que sont les villes, je m’inquiète de la suite logique des choses. Ainsi, des centaines de milliers de citadins manifestent pour protester contre l’inaction publique en matière de changements climatiques alors qu’on pourrait objecter que l’industrialisation et ses terribles conséquences environnementales se seront précisément appuyées sur l’essor des villes, des villes devenues la destination « naturelle » de la majorité des gens de toutes conditions. Ce n’est pas seulement le Québec traditionnel qui s’effrite; c’est aussi un rapport à l’existence fondé, au jour le jour, sur un lien organique et indispensable avec la nature. Que signifient ces jolies rengaines sur la splendeur de nos grands espaces lorsqu’elles sont entonnées, de plus en plus, par des chantres qui objectivement se trouvent confinés dans des clapiers hors de prix? Cela dit, je ne suis pas en colère. Je vis dans un univers magnifique et sur lequel j’ai le pouvoir d’intervenir afin d’en améliorer la santé fragile. Mais je dois aussi comprendre qu’il existe un discours majoritaire, une rumeur constante qui a pour effet de dissuader un peu tout le monde de s’établir ou simplement de demeurer en zone rurale.

Ce n’est pas seulement le Québec traditionnel qui s’effrite; c’est aussi un rapport à l’existence fondé, au jour le jour, sur un lien organique et indispensable avec la nature.

Extrait de l’entretien


La violence envers le monde naturel n’est pas étrangère à la violence du monde social, n’est-ce pas?

Il n’y a pas de violence envers le monde naturel – si on exclut les accaparements obscènes des grosses minières et des compagnies forestières. Je parlerais plutôt de démission normalisée. Le pouvoir d’intervention sur un milieu sauvage implique qu’on s’en soit d’abord porté acquéreur. Innombrables clôtures et interdictions de passage omniprésentes nous rappellent que la nature est elle aussi soumise à la logique de l’appropriation privée. Supposons un instant que la plupart des propriétaires de Montréal aient négligé d’entretenir leurs immeubles pendant deux générations. La métropole serait désormais un vaste taudis. La forêt laurentienne est exposée au même type de laisser-aller. Pour me résumer, tout le monde se fout absolument, non pas du cadre naturel, mais de ce qui le rend possible – comme s’il « allait de soi ».


Vous vivez au milieu de la nature, entouré de fermiers, de citadins qui imposent leur mode de vie, d’amoureux du bois. Toutes ces personnes aux perspectives parfois très divergentes peuvent-elles cohabiter?

Des actuaires frôlent chaque jour des sans-abri sur les trottoirs du centre-ville sans que personne s’en émeuve. En campagne, le relatif éloignement avec autrui a pour effet de tempérer les déséquilibres auxquels vous faites allusion. Les inégalités existent, bien sûr. Les distances ne les diluent aucunement, les rendant juste plus « abstraites ». Les citadins apprécient souvent ce qui leur rappellera l’urbanité : de fortes concentrations humaines avec des arbres en toile de fond et, surtout, dotées d’un haut potentiel de divertissement. Je ne connais guère de Laurentidien « de souche » qui ait un domicile à proximité de la station Tremblant. Plusieurs y travaillent, certes. Et dans des emplois qui s’avèrent essentiellement la version contemporaine de la domesticité d’Ancien Régime. Laquais provinciaux au service des réjouissances légitimes de la fine fleur métropolitaine et qui ne demandent pas mieux que de réintégrer leurs modestes quartiers une fois leur journée finie. Car, pour eux, la « vraie vie » n’a rien à voir avec cet environnement-là.


La découpe franche des sommets immaculés, adoucie par la vive pâte bleue du ciel. Une centaine de chardonnerets venus picorer des graines perdues dans le sable de mon accès dégagé.

Extrait de l’entretien


Et si nous vous parliez de « vos » Laurentides?

Trois chevreuils amadoués, le museau plongé dans leur bac de maïs. Un soleil levant qui colore de bronze l’écorce des bouleaux jaunes. La découpe franche des sommets immaculés, adoucie par la vive pâte bleue du ciel. Une centaine de chardonnerets venus picorer des graines perdues dans le sable de mon accès dégagé. La ritournelle d’un roselin pourpré, juché tout au sommet d’une épinette. Un odorant feu extérieur, où flambent les débris tronçonnés d’arbres morts. Les couinements de deux bébés mouffettes occupés à se chamailler sur le pas de leur terrier. Le parfum acidulé d’une jolie récolte de fraises des champs. Une marmotte affalée à plat ventre sur un rocher tiède. Les feuilles racornies qui habillent les petits hêtres, l’hiver venu. Des conversations de circonstance avec tous les passants, qu’ils soient connus ou non. La démesure des cimes. Les embranchements de la Voie lactée, fine brume vaporisée contre la voûte pétillante d’étoiles. Un kilo de chanterelles cueillies le matin jetant leur eau dans la casserole. Les interjections nerveuses d’un pic chevelu contrarié par un importun. L’indéniable blancheur de la neige. Une solitude animée.


Livre publié dans la collection « L’œil américain »