Gilles ArchambaultSourire en coin ou les ruses de l’autodérision

Un écrivain vieillissant désire écrire un nouveau livre, mais la nostalgie freinera-t-elle son élan?

Extrait

Pourquoi j’écris

Pourquoi ai-je publié avec tant de régularité? Personne ne m’obligeait à parcourir avec une telle obstination une route dont la destination était pour le moins aléatoire. Pourquoi ai-je tant insisté? N’avais-je rien d’autre à faire? Aussi bien me demander pourquoi je marche ou pourquoi je dors. De même, pourquoi mon narrateur sent-il le besoin de dire à Kim qu’il écrit? Ne risque-t-il pas de s’apercevoir que la petite a d’autres soucis en tête? Le taxi qui n’arrive pas, la pluie qui ne semble pas devoir cesser… Toujours cette tendance que nous avons, le narrateur et moi, à nous afficher comme écrivains. Si au moins c’était par bravade, mais non, je ne tarde jamais à dire que mes livres ne sont que le résultat d’audaces répétées, qu’on peut très bien vivre sans les connaître. Lorsque, presque malgré moi, j’apparais en public, on me demande souvent pourquoi je suis devenu écrivain. Impossible d’éluder la question. Je finis invariablement par dire que, la vie ne m’ayant jamais satisfait, j’ai cherché une réponse à cet inconfort, même si je suis depuis longtemps persuadé que cette réponse n’existe pas. D’où on pourrait conclure qu’il y a pire destin que celui d’écrivain. Ce dernier ferait son miel de ses incertitudes, expliquant sans fin son inaptitude à vivre.


Je n’ai jamais aspiré à devenir un auteur connu d’un large public. Être tenu pour un écrivain dit majeur m’aurait tout autant incommodé.


Comme mon destin a été nettement plus modeste, je dors tranquille. Me reste l’impression gênante que j’ai parfois, en cours d’interview, de jouer un rôle. Je m’entends pérorer. Si l’impression persiste, je suis cuit. Je n’arrive plus alors à développer la moindre idée. Il faut dire que mes livres, romans ou nouvelles, ne reposent pas sur une intrigue. La plupart du temps, le seul personnage de l’affaire, c’est moi. D’où ma gêne. Mais comment puis-je refuser les rencontres publiques alors que pendant trente ans j’ai officié au Salon du livre de Montréal en tant que meneur d’entretiens? Même Pierre ne le comprendrait pas.